Paul Sanders parle de la corruption en Russie

Le spécialiste de la Russie revient sur la table ronde de haut niveau qui se tenait le 12 janvier à Dijon

Publié le 02 février 2011

Le 12 janvier dernier, le Conseil Régional de Bourgogne et Sciences Po organisaient à Dijon une table ronde de très haut niveau sur le thème « De la corruption à la règle : l'économie politique de la corruption en Russie, Ukraine et Bulgarie ». De grands spécialistes du CERI (Centre d'Études et de Recherches Internationales) sont intervenus pour analyser la question. L'occasion pour Paul Sanders, Professeur de Marketing au Groupe ESC Dijon Bourgogne et lui-même spécialiste de la Russie, de répondre à trois questions sur la corruption.

Comment comprendre le phénomène de corruption d'un point de vue général et tenter d'y remédier ?

La corruption est un problème très discuté, mais il n'y a pas vraiment de recette pour l'aborder. Une voie classique la présente sous l'angle microéconomique des incitations, avec par exemple cette idée qui est de dire : « Les bureaucrates sont corrompus car ils sont sous-payés, il faut donc décourager la corruption par un système d'incitations ». Mais de fait ce modèle ne marche pas.

La corruption est un phénomène international, qui est notamment une vraie problématique pour les entreprises qui souhaitent s'implanter dans certains pays, dont la Russie. Le sujet est d'autant plus délicat que les législations nationales sont totalement inopérantes dès lors des aspects opaques ont lieu dans d'autres pays...

Une approche par les valeurs et les « entrepreneurs institutionnels » est également de mise : il s'agit d'aider à la formation d'une culture anti-corruption, comme ce fut le cas avec la réforme judiciaire en Bosnie. Celle-ci a mené à la création d'une cour d'état au niveau national - chose inhabituelle dans un pays aussi divisé que la Bosnie - laquelle lutte contre crime organisé et corruption. Mais là encore, ce n'est pas gagné d'avance, quand dans un pays les différents leaders communautaires qui ont la mainmise sur la formation identitaire sont eux-mêmes corrompus. Forcément, ils n'ont aucun intérêt à ce que les choses bougent...

En Russie précisément, quelle dimension prend la corruption ?

Ici, il y a clairement un aspect de transition post-soviétique qui a vu l'émergence - ou la survivance - d'élites prédatrices : des bureaucrates sont là pour la rente. L'intérêt commun étant le cadet de leurs soucis, ils travaillent pour leur propre compte. On appelle ça la « probité des élites ». Pour y faire face, Vladimir Poutine a parlé de « dictature de la loi » en arrivant au pouvoir en 2000. Discours faisant référence au besoin d'état fort appliquant la loi à tout le monde, sans exception, et par la force si nécessaire. Dans la pratique, ce discours de la main de fer s'est révélé faux, car la loi n'est pas appliquée de la même façon pour tout le monde : il y a une ultra-sélectivité dans l'application de la loi qui répond à la lutte des clans et à des changements de pouvoir interne. On l'a vu dernièrement encore, dans le deuxième procès contre Mikhaïl Khodorkovsky, ex-PDG de la compagnie pétrolière Yukos.

Gilles Favarel-Garrigues, qui est intervenu le 12 janvier, nous a confirmé que Poutine lui-même avait baissé les bras face à la corruption, puisque le dirigeant s'était exprimé dans le sens de : « Si j'avais une solution à la corruption, je l'aurai déjà trouvée ! ». Malgré tout et même si les résultats sont faibles, M. Favarel-Garrigues estime qu'il y a une vraie volonté au sommet de l'état russe de lutter contre la corruption, qui s'exprime par un programme de réformes majeures initié depuis une dizaine d'années. Ce qui pose problème est l'application de la loi, car beaucoup de services sont corrompus à la base, comme le MVD (Ministère de l'Intérieur/Police), le FSB (branche de l'ex-KGB, services secrets intérieurs) ou la Justice. Si tout le monde en Russie parle de la corruption des policiers, pratiquement rien ne se fait savoir concernant la corruption des deux autres...

Deux chiffres pour prendre la mesure du phénomène (et ses contradictions !) : un tiers du PIB russe part dans la corruption, et 700 condamnations anti-corruption ont eut lieu en 2009, ce qui dans les deux cas est... pas mal !

Vous parliez de la problématique de la corruption pour les entreprises souhaitant s'implanter dans des pays comme la Russie. Concrètement, quel en est l'impact pour elles ?

On se trouve face à une dichotomie entre le droit et la force, et une situation où se contenter du droit ne suffit pas. Bien sûr, il est nécessaire pour ces entreprises d'être en règle, mais il y a un élément de force qui rentre en jeu. On est dans un environnement où un certain nombre d'externalités comme les services de l'état fonctionnent selon leur propre intérêt ou ne fonctionnent pas du tout.

Ainsi, pour réussir, une entreprise étrangère a besoin de se protéger des « prédateurs », c'est-à-dire des structures qui vont vouloir lui extorquer de l'argent. Il est donc nécessaire de se constituer un dispositif sur place pour assurer sa sécurité, avec une protection qui se fera sur plusieurs niveaux, et non simplement au niveau physique. Plus important encore est de se constituer un réseau, de gonfler son carnet d'adresses. C'est dans ce sens qu'il est important de rentrer dans le jeu de la force. On le voit, il s'agit d'une économie basée sur les relations, et cette logique est assez prégnante dans les pays émergents.