Le mal chez Shakespeare, Rousseau et Giono

Interview de Véronique Anglard, professeur à l'ESME Sudria, qui produit une analyse littéraire du mal dans son ouvrage récent.

Publié le 10 août 2011

2lemal.jpgInterview de Véronique Anglard, professeur à l'ESME Sudria, qui produit une analyse littéraire du mal dans son ouvrage récent.

Professeur de français en classes préparatoires et à l'ESME Sudria, Véronique Anglard a fait paraître un ouvrage sur le thème du mal analysé à travers les œuvres de Jean Giono, Rousseau et Shakespeare.

Quel est le point commun entre ces trois auteurs dans leur manière d'aborder le mal ?

Le point commun, c'est la relation à la vie en société et à la nature humaine. Tous se questionnent sur le sens moral, la moralité: comment se fait-il que l'homme, que les philosophes voudraient naturellement vertueux, commet le mal ? Par nature ou pour échapper aux normes éthiques? Aux règles sociales? Ou sans raison aisément identifiable? Ce questionnement relève de l'anthropologie et consiste à se demander comment la pratique et la pensée du mal entraînent un dysfonctionnement social global. Quel mécanisme conduit à l'émergence du mal ? S'il était seulement possible de donner une explication... La définition et l'émergence du mal dans la conscience humaine relèvent d'un double mystère: plus on cherche à l'éclairer et plus il s'obscurcit. Pour Rousseau - contrairement aux interprétations hâtives que l'on donne de sa pensée -, l'homme s'humanise dès lors qu'il s'organise en société. La socialisation le fait naître à la morale tout en l'induisant à faire le mal: c'est le paradoxe de la liberté morale. Dans Macbeth, Shakespeare met en scène le basculement d'une conscience vers le mal et son opacité : pourquoi Macbeth, le héros qui vient de sauver le pouvoir du monarque, se laisse tenter par une volonté de puissance jalouse et usurpe le trône par le crime? Le basculement est mis en scène (ses conséquences tragiques exhibées), mais il n'est pas expliqué. Jean Giono, dans Les Ames fortes, multiplie quant à lui les points de vue sur une histoire machiavélique, celle d'une vieille femme en apparence quelconque qui prétend avoir perpétré le mal pur, en pure perte. Mais pourquoi? Qu'est-ce qui justifie cette fascination pour le mal? Le désir d'exister, d'affirmer sa singularité ?

Comment expliquer le désamour des plus jeunes pour la littérature ?

J'ai le sentiment que les élèves sont de plus en plus hermétiques à la langue classique, même en abordant des textes assez simples de prime abord comme Candide de Voltaire. Lorsque l'on entre dans les détails, le texte n'est pas forcément bien compris. Les élèves ont beaucoup d'information, via Internet ou les grandes sagas de littérature comme Harry Potter ou Twilight. Ils lisent différemment, mais ils devraient aussi avoir le droit aussi à la beauté classique. Et Internet et les médias modernes ne leur en donnent pas toujours la possibilité. D'où l'intérêt de posséder une méthode pour être à même d'interpréter un texte et bien se questionner. Le but de toute formation devrait être de développer une personnalité, de donner des outils pour pouvoir apprécier la beauté. Les étudiants ont beaucoup de difficultés à s'accorder au rythme de Balzac, aux longues descriptions; ils n'en perçoivent pas l'intérêt, alors que, pour l'auteur de La Comédie humaine, tout fait sens: tous les détails sont nécessaires à la compréhension d'un individu comme d'un système; ses romans abordent des problématiques générales intemporelles: l'amour, l'ambition, le goût effréné du pouvoir, la trahison, la déception et le mensonge, etc. Les étudiants se privent de quelque chose en ne le lisant plus. Mais l'enseignement n'est pas non plus exempt de tout reproche... Il faut aussi savoir attendre d'être en phase avec une œuvre pour mieux en saisir l'esprit car toute grande œuvre s'inscrit dans une vision du monde globale et il faut avoir la maturité de la comprendre.

Comment donner envie de lire ?

Je ne sais pas ce qu'il faut faire - je sais peut-être davantage ce qu'il ne faut pas faire: imposer des lectures. Je fais confiance à la jeunesse et je remarque un regain d'intérêt pour la fiction, fantastique ou policière: elle remet en cause, ou complète le réel. A partir du moment où il y a une envie de lire, j'encourage tous les types de lectures, même si je conseillerais plutôt Sherlock Holmes de Conan Doyle qu'Harry Potter. Peut-être que, pour donner le goût de la lecture, il faudrait sans doute passer par certains « petits » classiques, ou des passages, avant que les jeunes gens ne se lancent d'eux-mêmes.

Référence de l'ouvrage

« Le mal - Shakespeare, Rousseau, Giono - L'épreuve de français CPGE scientifiques Programme 2011-2012 », de Véronique Anglard, Christian Ruby et Jean-Luc Vincent (Editions Ellipses).


ESME Sudria


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