éthologue : découvrez l'éthologie et le métier de Nadjat Haddam, médecin éthologue

Elle nous parle de son métier et de sa double formation : médecin et éthologue

Publié le 15 janvier 2008

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Vous êtes médecin éthologue. Pouvez vous expliquez à nos lecteurs en quoi consiste cette spécialité?

Nadjat Haddam

Tout d’abord sur le plan étymologique, Ethos : moeurs // Logos : science

L'éthologie, la science des moeurs, est l'étude objective et scientifique du comportement des animaux, mais aussi du comportement humain et des relations homme - animal (Un comportement pouvant-être inné ou acquis, qui a pour fonction la communication, est appelé un signal, pouvant être des gestes, des mimiques, des émissions de son…)

L’éthologie est une discipline scientifique dont les origines sont relativement récentes et qui a subi de profondes mutations au cours des dernières décennies. Karl Von Frisch, Konrad Lorenz et Niko Tinbergen, ont été unanimement salués comme les fondateurs de l'éthologie moderne, et honorés en 1973 du prix Nobel de médecine et physiologie, pour leurs travaux.

C’est d’abord une observation en milieu naturel, effectuée là où vit l’être vivant. S’il s’agit d’un animal , le chercheur l’observe dans son environnement afin de voir , comment il communique avec ses congénères pour échanger des informations mais aussi comment il manisfeste sa souffrance, son stress ? Ainsi, l' éthologie va se demander quelle est la fonction du comportement donné, mais aussi comment s’est fait son apprentissage, pour essayer d’y répondre, on établira toutes sortes de comparaisons expérimentales entre des cohortes différentes.

Observer l’objet n’est pas exclusivement fondé sur l’idée que l’on s’en fait. Il résulte d’un processus d’observation qui se fait en deux temps:

  • d’abord l’observation naïve, où l’observateur se laisse baigner par les informations qui circulent, à ramasser globalement des données
  • puis dans un deuxième temps, c’est l’observation dirigée, dite expérimentale, une démarche analytique, une série d’observations dirigées centrées sur des îtems , un petit bout de comportement, pour l’enregistrer dans certaines conditions définies, en utilisant un enregistrement audio ou vidéo (on choisit une petite séquence comportementale: sourcils, faire une offrande alimentaire, menacer, sécuriser et on en fait une variable expérimentale pour effectuer une manipulation comme dans un laboratoire).

L'observation est une source considérable du travail scientifique.

L’éthologie humaine a pour objet de porter un regard sur les comportements de l’homme et ses structures sociales. Elle cherche à décrire ce que fait réellement un individu dans un contexte donné. Elle s'intéresse aux manifestations visibles du mode de comportement des humains ( verbal et le non-verbal), en interaction avec leur milieu de vie privé, social, culturel et environnemental. Il faut associer l’observation directe avec d’autres éléments, cela peut-être l’histoire de la personne, de sa maladie, des symptômes… C’est une discipline qui est à la fois interface et complémentaire des autres disciplines des sciences humaines, recouvrant une partie de la linguistique, une partie de la sociologie, une partie de l’anthropologie, une partie de la psychologie…Par le fait que L'homme, possède pour s'exprimer bien d'autres moyens que la parole, le non verbal et son histoire s'articule à sa biologie, son équipement génétique participe à ces constructions sociales.

Pour réhabiliter certains malades atteints par des maladies chroniques et notamment les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, on utilise la méthode éthologique pour comprendre le malade en tant que sujet, en mettant en évidence l’origine de ses expressions et de ses actions. Cette approche permet de répondre à certaines questions fondamentales pour la prise en charge de ses malades comme par exemple:

  • Comprendre et expliquer comment se comporte le malade et comment il se débrouille dans la vie quotidienne;
  • Comprendre aussi pourquoi certains patients arrivent à avoir moins de troubles lorsqu'ils se trouvent au même stade de la maladie

…cette approche est basée sur l’observation d’un corpus afin de dégager le fonctionnement de leur subjectivité à travers leurs activités dans leur vie quotidienne?

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Quelles est le cursus pour devenir éthologue?

Nadjat Haddam

  • Faire une thèse dans un laboratoire CNRS ( cognition et éthologie) et postuler pour un poste de chercheur en éthologie.
  • Possibilité de s’inscrire à un D.U. d’éthologie pour les médecins, psychologues, les vétérinaires… (D.U. - diplôme universitaire à Toulon par exemple).
  • Il existe aussi un MASTER d’éthologie

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Etre médecin et éthologue, c'est un réel plus?

Les éthologues aiment observer, les cliniciens savent que l’écoute fait partie de l’observation, les psychologues aiment comprendre cette vie psychique intime. Ce qui me permet d’aborder la prise en charge d’un malade atteint d’une maladie grave dans sa complexité et sa globalité.

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Quel type de poste peut on occuper en ayant cette double compétence?

Nadjat Haddam

  • De travailler avec des organismes qui s’intéressent à ce genre de problématique.
  • D’être chercheur éthologue au CNRS, L’INSERM.

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Vous avez choisi de travailler dans l'univers des personnes âgées. Quels sont les apports de l'éthologie pour ce type de patients?

Nadjat Haddam

Le soin mobilise une forme de relation à l’autre caractérisée par une Asymétrie, au regard de la dépendance de l’autre qui est fragile et vulnérable, qui attend d’être soigné Cette demande de l’autre, l’autre malade nécessite l’instauration d’une chaîne de gestes qui ne peut se réaliser que par une éthique du soin nécessitant la reconnaissance de l’autre et une dette envers cette fragilité… s’inscrivant dans une dimension d’équité et de réciprocité.

L’éthologie permet d’observer ces interactions via les comportements des uns et des autres dans des situations de soins, afin de proposer aux soignants, aux aidants un savoir être et savoir faire qui s’inscrit dans le cadre d’une éthique du soin. Ces attitudes " soignantes" peuvent être développées et permettent des portes de sorties lors des situations de crise mais aussi peuvent aussi les éviter dans un contexte donné.

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Vous faites des travaux de recherche autour du vieillissement. Pouvez vous nous indiquer les pistes sur lesquelles vous vous êtes engagées?

Nadjat Haddam

La vieillesse est en général définie par des données objectives comme le ralentissement des fonctions, des rythmes de vie, la détérioration progressive des organes, la moindre résistance aux agressions pathologiques, la multiplication des maladies, le temps plus long pour récupérer des forces mais aussi de cicatrisation des plaies…

Cette approche dite objective ne prend pas en considération la définition de la vieillesse dans un cadre historique et sociologique, à travers différentes sociétés ( vieillards et centenaires plus nombreux au Japon), à travers l’histoire de l’humanité. Les statistiques et échelles de la gérontologie restent donc d’une utilité locale et provisoire, d’autant plus que cette approche ne répond pas à une question fondamentale qui est d’ordre éthique:

  • « que faire, face à la vieillesse ? quels principes peuvent guider l’action du soignant, du juriste…

Notre approche de la vieillesse , est une approche éco systémique qui permet de prendre en considération les changements physiques et psychiques de l’individu qui est en relation avec sa famille et la société. Le vieillissement n’est pas une maladie , c’est un remaniement entre des éléments constructifs et destructifs qui sous tend des transformations, nécessite l’utilisation de différentes stratégies afin de composer ou « re-composer » avec son environnement dans le but de garder un certain équilibre. La construction de cet équilibre nécessite une interaction avec son environnement (diabète type 2 par exemple …)

Une personne âgée , atteinte de poly pathologie, selon le degré d’atteinte peut devenir dépendante et selon les cas peut vivre en institution sans tomber dans la dépression en gardant des liens avec leur famille et avec les soignants:

  • la résilience dans ces cas de figure est cette capacité à intégrer l’autre comme une « béquille » afin de conserver le maximum d’autonomie . Ces personnes âgée ont intégré la maladie, le corps vieillit, et ont nécessairement développé une certaine théorie de vie sur eux et sur l’autre qui peut-être le soignant ou l’aidant, sur la manière de voir les évènements en ayant revisité le passé grâce à leur entourage…

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Vous organisez en 2008, un colloque sur la résilience. Pouvez vous expliquer à nos lecteurs en quoi consiste la résilience chez la personne âgée et dans la maladie d'Alzheimer?

Nadjat Haddam

La résilience est un processus de reconstruction dans l’interaction, qui permet au malade avec l’accompagnant et le soignant de trouver la voie d’un nouveau développement malgré la maladie traumatisante.

L’effraction par une maladie grave, chronique comme la maladie d’Alzheimer, nécessite une réorganisation de la vie du malade et de sa famille. Elle constitue un choc au sein d’une famille avec des sensations de catastrophes pouvant aller à une sidération cognitive :

  • Le patient ressent une menace pour le moi en début de la maladie qui entraîne une instabilité de son identité. Au fil du temps son identité est remaniée.
  • La symptomatologie de la maladie d’Alzheimer, provoque des modifications d’interaction et de comportement de part et d’autres qui nécessite des réaménagements relationnel du système familial, avec un réaménagement de la vie antérieure , une ouverture à la mise en place de stratégies qui viseraient à préserver puis à reconstituer l’intégrité de l’enveloppe protectrice. Cela nécessite la présence d’un système familial sécurisant et une bonne qualité du système soignant. Nous pouvons proposer le processus de résilience comme concept de soin.

La résilience est pensée en terme systémique pour la mise en place d’un équilibre de l’homéostasie familiale afin de préserver sa fonctionnalité , de permettre la mentalisation du traumatisme qui permet entre autres la relation d’acceptation profonde de l’autre même différent , avec un retissage du lien familial qui est essentielle pour la constitution de la résilience familiale.

Le sujet atteint de la maladie d’Alzheimer est aphasique, sensible à l’ambiance « sensorielle » :

  • une relation de bonne qualité avec l’aidant, qui continue à communiquer avec le malade, qui par l‘intermédiaire du non-verbal arrive à ajuster ses réponses, le sécurise , ayant toujours un projet de vie et qui va créer autour de du patient un bain affectif chaleureux, sensoriel et continu, présent, complémentaire et faisant tiers.

Dans ce cadre nous pouvons mettre en lumière et en parallèle les différents facteurs qui génèrent le sentiment de sécurité chez le patient, ceux qui lui permettent la régulation des affects grâce au tiers qui est le pilier de la mise en place d’une résilience possible.

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Dans la vie des aidants et soignants des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, quels progrès vos méthodes peuvent elles apporter?

Nadjat Haddam

La maladie d'Alzheimer, de par l'existence d'un syndrome aphaso-apraxo-agnosique, est communément définie comme une maladie de la relation, où l'amnésie qui en est à l'origine entrave la communication avec le patient jusqu'à l'enfermer dans la solitude du déni .

On dira alors "qu'il est dans son monde, qu'il ne réalise pas, qu'il ne comprend plus rien, ne reconnaît pas ou dit n'importe quoi".

C'est sans doute aller bien vite à définir une pathologie en termes de pertes et faire l'impasse sur les capacités restantes de la mémoire affective et de la mémoire émotionnelle pour lesquelles la parole émotionnelle garde tout son sens où le langage non-verbal garde une place primordiale. Il faut :

  • Permettre aux soignants d’acquérir des outils pédagogiques pour entrer en relation avec les malades atteints de ce type de pathologie ayant des troubles de comportements.
  • Permettre de diminuer la souffrance du malade et la souffrance du soignant, ainsi que la valorisation du personnel et du malade en maintenant son identité…
  • Garantir et protéger l’humanité du sujet par le biais de la bientraitance qui est le respect de la personne mis en acte. La bientraitance garantit l’empathie naturelle, développe les capacités d’humanisation et révèle à chacun le sens de son existence.

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Pouvez vous illustrer sur un exemple de bonne pratique

Nadjat Haddam

  • Une qualité de présence du soignant
  • L’empathie
  • Une prise en compte de la sensibilité du patient, de ses craintes, qui s’expriment par des réactions motrices et toniques.
  • Des gestes ajustés (techniques de soins, manutention …)
  • Une perception et un respect du malade
  • Donc une sensibilité aux signaux non verbaux envoyés par le malade, et aussi une attention bienveillante.

Permet un ajustement émotionnel et cognitif du soignant et de l’aidant afin de :

  • de sécuriser le malade qui se sent menacer et en opposition qu’il traduit par des cris et une posture de fermeture
  • le soignant apaise le malade grâce à ces comportements verbaux et non-verbaux
  • Un changement du comportement du malade le plus minime qu’il soit se met en place par le biais d’un sourire, d’un changement de posture qui indique un comportement de coopération en situation de soin.

Cet ajustement ne peut s’obtenir que si préalablement le soignant a préparé cette rencontre dans la qualité du contact dés le départ lors de la première rencontre, lors de l’ouverture de la porte de la chambre du résidant qui commence par l’intonation (la prosodie) du bonjour Monsieur B. mais aussi du croisement des regards, de la qualité du toucher, puis de la qualité de l’écoute et la manière dont le soignant reformule la demande du malade…Ainsi le malade est sécurisé, accepte les soins techniques sans qu’ils soient ressentis comme une agression.

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Y a t'il des ouvrages que vous pourriez conseiller à nos lecteurs sur ce sujet?

Nadjat Haddam

Deux ouvrages ont été publiés par notre groupe de travail :

  • « Vieillissement et résilience » - Solal 2004
  • « Résilience, vieillissement et maladie d'Alzheimer » - Solal 2007).


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