ALISTER : Album "Aucun mal ne vous sera fait "

Sortie le 25 Mars 2008 (Barclay)

Publié le 23 mars 2008

LE 14 MAI EN CONCERT A LA MAROQUINERIE

Un groupe de jeunesse qui n'aboutit à rien, une carrière de scénariste pour la télé qui décolle, un recueil de nouvelles «Playlist» qui intrigue, des plombes sans toucher un instrument et maintenant un premier album qui s'ouvre (pour de rire) sur une invitation pop à déguster des pamplemousses à Miami... A la fois chaotique et brillant, le parcours d'Alister est loin de ressembler à une route droite suivie avec application, plutôt une série d'à-coups donnés par un jeune homme faussement je-m'en-foutiste et vraiment perfectionniste. Des virages raides et radicaux qui reflètent une ligne de conduite exigeante et ambitieuse.

Remettons un peu d'ordre.

Il y a près de quinze ans, Alister fonde avec des copains un premier groupe et écrit ses premières chansons. « Je n'avais rien à dire, pas assez vécu, ça sonnait faux comme un fantasme de fantasme de vie » reconnaît-il aujourd'hui. Ses potes rentrent dans le rang, lui persévère un temps dans la musique, sans succès.

Il se tourne alors vers la télé qui, elle, accueille à bras ouverts sa plume acérée. Il intègre vite le cercle fermé des auteurs courus pour programmes courts, en écrivant notamment pour «Un gars, une fille», et surtout «La minute blonde» sur Canal +. Bonne école. « Devoir balancer une cinquantaine de vannes par jour, ça muscle le cerveau ».

Puis la musique fait son come-back dans sa vie par accident. Après avoir rencontré Adrienne Pauly, Alister met fin à trois années d'abstinence (musicale) et lui compose notamment «Pourquoi», «La fille au Prisunic», «J'veux un mec»...

Un jour, sur un instrumental vaguement new-wave, il improvise les paroles et autres apostrophes délirantes de «Qu'est-ce qu'on va faire de toi ?» qui brassent sitcom et derviche tourneur, télé-réalité et surmoi. La manière de poser sa voix, le ton un peu goguenard et provocateur : il tient quelque chose. Déclic.

A partir de là, les morceaux s'enchaînent, le monde d'Alister prend de l'épaisseur, beau et tordu, rempli de romances nerveuses et de rencontres nocturnes. Epaté par le son mat et sexy des deux albums de Baxter Dury (le fils de Ian, éternel chanteur de «Sex & Drugs & Rock'n'roll»), Alister envoie ses démos à la paire de responsables - Baxter lui-même et l'Américain Craig Silvey, jeune producteur-ingénieur du son aux états de service déjà impressionnants (The Magic Numbers, Portishead, The Coral...) - comme on envoie une lettre de fan. De l'autre côté de la Manche, Baxter et Craig craquent sur les chansons du frenchy et reconnaissent en lui un frère de glam. Direction les studios, entre Londres, Paris et Bristol...

«Aucun mal ne vous sera fait» tranche par son élégance dans le paysage français où chanson et rock ont du mal à se marier sans que l'une ne corrompe l'autre, sans que les mots ne dansent mal ou que les guitares ne sonnent fades. Au contraire, Alister a réussi à tirer de son inspiration d'Outre-Manche des mélodies et des motifs qu'il a rendus excitants dans sa langue à lui.

Parce qu'il fait souvent le malin avec aplomb et joue au papillon de nuit sur une bonne moitié de l'album («Paris By Night», «7 h du matin»), on pourrait voir en lui un descendant naturel du Dutronc dandy français des années 60-70 à qui tout réussissait («Fille à problèmes» ou «Bordel»).

Bien sûr, Alister connaît par coeur ses tubes, comme ceux de Gainsbourg, Bashung et consorts qu'il a entendus à la radio. Mais « les pierres de touche » de son inspiration sont davantage à chercher en Amérique, du côté d'Alex Chilton, génie déchu de Big Star et surtout de Lou Reed, celui des années 70, narquois et magistral qui répandait son venin avec éclat et ironie. « Ce qui me fascine chez eux, ce sont les chansons sublimes harmoniquement avec des textes ambigus, instables ».

Plaquant des mots assassins sur des mélodies qui tuent («Ne fais pas attention au désordre», «Quelque chose dans mon verre» et son refrain renversant, «Barnum», autre faux-semblant de tendresse qui rappelle certaines gemmes de «Berlin»), Alister renouvelle ainsi le genre de la chanson d'amour avec l'acidité d'un Randy Newman (autre modèle avoué) en y glissant de l'humour noir, des faux indices et autres surprenantes chausse-trapes. Il ne faut donc pas se fier au chant toujours assuré et au calme apparent : parfois c'est une faille qui s'ouvre sous les pieds du narrateur et crée un appel d'air chaotique.

Avec ses compositions classieuses et son ton personnel, Alister ne peut laisser indifférent. Voici un chanteur français qui ne veut pas rentrer dans le rang. Logique pour quelqu'un qui se demande en permanence qui est anormal - les autres ou lui ?