Deuxième album de Ludéal.

"Allez l'amour" : dans les bacs à partir du 26 avril 2010

Publié le 15 février 2010

Parfois, un disque laisse pantois. Fin 2007, la critique reste bouche bée devant le premier album de Ludéal. Talent d'écriture, richesse de la voix, fulgurance des images, tout fait lâcher les superlatifs : « Magnifique ! Superbe ! Génial ! » C'est ce qu'on appelle un succès d'estime. Deux ans plus tard, Ludéal est de retour. Mais le rocker aux crépuscules poivrés s'aventure dans un territoire plus diurne. Il a voulu un disque « plus généreux, plus transparent, mais conservant une part d'onirisme. ». Dès la première chanson, Crapaud magnifique, il lance : « Arrive un sorcier francophone alors l'élite est là ». Il explique : « Ce n'est pas un hasard si cette chanson est en ouverture et fait le lien entre le premier et le deuxième album. C'est ma chanson la plus personnelle, la chanson d'une page qui se tourne, d'une nouvelle époque qui commence. Ce sorcier « francophone », c'est aussi une révélation, un envoutement de la langue qui m'a poussé à écrire définitivement en français. » Car Ludéal appartient à cette lignée qui, dans les rayons des bibliothèques savantes a toujours cherché l'ensorcellement par le verbe, les fulgurances de la poésie, l'éblouissement du mot à la fois juste et sublime...

Et, en même temps, il sait les raccourcis brillants qui font les grands singles, comme Allez l'amour qui donne son titre à l'album. L'évidence pop et un je ne sais quoi de cérébral, la chanson à écouter compulsivement sur son iPod et le plaisir des doubles sens et des mots détournés. « Pour les chanteurs ou compositeurs de ma génération, je crois que la langue française a toujours été un problème. Elle n'apparait pas au premier abord comme un terrain favorable au rock ou au folk. Et je ne pense pas que l'on puisse encore inventer quelque chose de tout à fait nouveau avec le français. On fait de son mieux. » Une vision sombre ? Une vision exigeante, plutôt. Une exigence qui lui fait choisir des figures tutélaires de belle ampleur. « Quand j'serai KO de Souchon est un des rares exemples de la chanson française qui peut émouvoir quelqu'un comme moi, avec ma culture exclusivement anglo-saxonne. C'est ce vers quoi je tends : que des gens qui écoutent du rock puissent tendre l'oreille vers une de mes chansons sans en avoir honte. »


Ludéal a longtemps tardé avant de plonger dans la musique. Pas de diplôme, des petits boulots, des hésitations, des années d'ennui... Après avoir abandonné l'anglais dans lequel il chantait « par pudeur », il a encore pris le temps de « dompter le français pour qu'il entre dans mes chansons. Aujourd'hui, je ne commence pas en écrivant le texte. Il arrive qu'un mot ou qu'une image descende tout seul du ciel, mais il faut que j'ai ma guitare pour écrire. Il faut que les mots entrent dans la mélodie, que leur consonance vienne avec les riffs de guitare. C'est très laborieux, ça dure parfois des mois. J'arrête quand la chanson convient à mon amie. Si elle ne me dit pas d'arrêter, je continue de travailler. » Très vite après le premier album, dès l'été 2008, les nouvelles chansons sont écrites, maquettées, pré-produites. Il cherche un réalisateur pour son album, et retrouve Martin Gamet. Bassiste et batteur, celui-ci avait joué sur le premier album de Ludéal avant de rejoindre le groupe de scène de Renan Luce puis la tournée de Camille. « Avec Martin, ça a été parfait. Mes chansons avaient atteint leurs limites, il les a dépassées. Nous avons travaillé ensemble, chez lui, tranquillement. Dans les morceaux, rien n'est gratuit, il n'y a pas de surcharge pondérale. » En effet, la production rend un son à la fois intime et ample, avec de la chair et de la précision - des couleurs qui tranchent avec beaucoup de productions françaises du moment, dont le son laisse croire que les huissiers attendent à la porte.

Il a semé ses chansons d'allusions à l'Afrique du Nord - des babouches, des chameaux, la médina... « J'aime voyager, mais plutôt en cartes postales. J'avais parlé tant et plus de l'Amérique dans le premier album et, pour celui-ci, j'avais envie de sable, de chaleur, de lenteur, de mystère.» Ces atmosphères de touffeur et de ciel fort conviennent bien aux nouveaux textes de Ludéal, dans lesquels l'amour est souvent au centre de tout. Sensualité, désespoir, désir, nostalgie, manque, satiété : il y a là tous les états de l'amour, passion polymorphe qui effare, effraie, comble, sidère, angoisse, exalte. Depuis que l'on chante dans notre langue, ces panoplies de l'amoureux ont souvent été endossées, mais rarement avec un tel sens du réel sous l'écriture poétique. Car l'enjeu est sans doute là, pour Ludéal : dire dans ses chansons la réalité du c½ur sans perdre l'ivresse du verbe, dire la part d'indicible que nous retrouvons tous dans nos vies amoureuses, mais sans lui enlever son mystère. A ce grand jeu des voiles et des dévoilements, des secrets partagés et des impudeurs discrètes, il se révèle de première force. Comme si un René Char avait pris la guitare, comme si la Pléiade venait habiter le rock.

Bertrand Dicale