ILL MANORS - La cité de la violence, en salles le 3 avril

Les sombres histoires de délinquants se croisent avec violence dans le quartier chaud de Forest Gate à Londres.

Publié le 27 mars 2013

Synopsis

Kirby, ex dealer, vient de sortir de prison, Ed est une tête brûlée, Michelle, une prostituée sous surveillance et le jeune Jack, se trouve empêtré au sein d'un gang local. Chris est déterminé à se venger et Katya cherche désespérément à fuir ce trouble voisinage. Sans oublier Aaron, notre protagoniste, qui essaie juste d'être un type bien...

Le tout est rythmé par la musique hip-hop de Plan B.

BEN DREW (Plan B), réalisateur et scénariste


Comment êtes-vous passé de la musique à l'écriture du film ?

Le hip-hop en Angleterre - je ne sais pas comment c'est en France - est une musique qui est souvent mal vue et mal comprise. C'est surtout à cause du hip-hop qui vient des Etats-Unis. Le hip-hop que j'aime est puissant, il parle de la société. Je veux que mon hip-hop soit mis dans un contexte social, un contexte qui me plaise, et qu'il ne soit pas confondu avec le rap ou le hip-hop qui viennent des Etats-Unis. La seule manière de le faire c'était avec un film : celui-là. Le fait d'avoir des représentations visuelles des histoires que je raconte dans mes textes, de faire ce film de façon naturelle et de manière réaliste, montre la façon avec laquelle je conçois mon hip hop. Les choses sont vraies, je n'essaye pas de rendre la violence sexy ou glamour pour parler de choses vraiment réelles.

Comment avez-vous-réussi à être pris au sérieux et financer votre film ? Souvent, le monde du cinéma ne prend pas au sérieux les artistes musicaux qui veulent faire du cinéma...

Vous vous souvenez quand Michael Jordan est devenu joueur de base-ball ? Personne ne l'a pris au sérieux, c'est un peu ce qui s'est passé pour moi. Ça a été très dur de financer le film. Au début une compagnie m'avait dit qu'elle voulait mettre un peu plus d'un million de livres (soit environ 1 200 000€) sur la production du film mais en fait ils ont déconné pendant à peu près neuf mois. J'ai entendu parler d'un fonds pour les jeunes réalisateurs : le fonds Microwave. Ils donnent 50 000 £ pour commencer, et on doit trouver 50 000 autres livres pour financer le film. C'est un film qui doit être basé sur un budget de 100 000£. La plupart de ce qu'on voit dans le film c'est ce que j'ai filmé en septembre 2010 avec un budget de 100 000 £. Mais c'était un projet très ambitieux. Quand j'ai vu ce que j'avais tourné, il y avait beaucoup de trous, il manquait beaucoup de choses. A ce moment là j'ai eu plein de problèmes politiques avec la compagnie de production. Je voulais mettre plus d'argent, et comme j'avais eu du succès avec mon disqueThe Defamation of Strickland Banks, je me suis dit que j'allais moi-même financer le reste du film. Je n'ai pas écouté ce que disaient les producteurs mais j'ai vendu les droits de distribution pour cinq fois le prix de départ. En 2011 j'ai réussi à remplir les trous, à retourner certaines scènes pour arriver à compléter le film et l'avoir comme je voulais le faire.

Comment avez-vous fait pour les acteurs ? Certains sont des professionnels, d'autres ne le sont pas : comment avez-vous fait le casting pour incarner ces personnages ?

Kirby est incarné par Keith Coggins, que je connaissais déjà. Quand j'ai grandi je n'avais pas de père et Coggins était ma figure paternelle. On se connaît vraiment bien. C'est quelqu'un qui a toujours très bien raconté les histoires. Il est super avec les gamins. Je savais qu'il avait l'étincelle en lui qui était nécessaire pour jouer ce rôle. Par contre les producteurs n'étaient pas du tout d'accord, mais j'ai fait confiance à mes instincts et pour moi c'est vraiment la meilleure chose que j'ai faite par rapport au film. Les autres sont principalement des amis, des gens qui ont vraiment vécu la vie qu'ils incarnent dans le film. Pour les enfants j'en ai casté sauvagement dans la rue, des gens que je croisais comme ça. En particulier la fille de 14 ans, Chanel, je l'ai rencontrée quand elle était avec sa mère dans la rue. Elle m'a regardé comme si j'étais une merde ! Enfin jusqu'à ce que je lui dise que j'étais Plan B, alors elle m'a reconnu. Là, elle a commencé à me draguer ! J'ai su tout de suite que ce serait elle qui jouerait Chanel.

Pour le casting, j'ai rassemblé dans des groupes tous les gens que je voyais dans les rôles. Je leur donnais les grandes lignes des personnages et les laissais improviser sur ce canevas. Comme c'étaient des gens qui venaient de la rue et que ce n'étaient pas des acteurs, c'était très important de voir qu'ils étaient capables d'improviser. J'ai travaillé avec Shane Meadows [réalisateur de « This is England »], qui lui aussi travaillait comme ça, mettait les acteurs ensemble en leur faisant improviser des dialogues. Je voulais que les acteurs soient capables d'improviser mais il y avait une ligne qu'ils devaient suivre donc c'est plus que ce que faisait Shane Meadows. Mais en fait ce que j'ai vu pendant les improvisations m'a plus excité que ce qui était sur le script écrit. Quelquefois, quand on tournait les scènes et qu'on tournait en rond, que ça ne décollait pas, je leur disais "Oubliez le script, improvisez, faites ce que vous sentez comme vous l'avez fait dans les séances." Il y a une scène où Chris déconne avec Kirby dans l'arrière-boutique du coiffeur : ça c'était complètement improvisé. Il y a des scènes où j'avais vraiment envie qu'ils improvisent, qu'ils aillent plus loin avec leur sauce et souvent je me rendais compte que c'étaient mes scènes préférées, parce que là ils se révélaient vraiment, et c'était unique. Ça a posé beaucoup de problèmes pour le montage.


Quelle est la part de réalité dans toutes les histoires présentées dans le film ? Est-ce qu'il y a des choses que vous avez vues vous-mêmes dans le quartier où vous avez grandi ou est-ce de la fiction ?

Le film est basé sur des histoires vraies que j'ai vécues, vues, lues dans les journaux ou que mes amis m'ont raconté. Avant d'écrire le script j'ai rassemblé des articles dans un recueil de faits divers qui m'ont interpelé et bouleversé. J'ai gardé des traces de choses qui se sont réellement passées comme une preuve que ce genre de choses peut réellement arriver. L'enjeu c'était de ne pas faire comme les tabloïds : souvent ils racontent ce genre d'histoires dégoûtantes et flippantes sans donner d'explication, ils posent seulement les faits. Ils n'expliquent pas pourquoi ça arrive et d'où viennent les histoires dont ils parlent. Quand j'ai fait ce film j'ai voulu remplir les trous et expliquer d'où pouvait venir ce genre de réalité. Encore une fois c'est basé sur mon expérience et ce que j'ai vu dans les endroits où j'ai grandi moi-même. Mais l'histoire qui a déclenché toutes les autres est celle de Michelle, la prostituée. C'est basé sur une histoire vraie. Le reste vient des articles de journaux ou des choses que mes amis m'ont raconté ou vraiment vécues.

D'où vient l'acteur qui incarne Jake, le jeune délinquant ?

Il avait treize ans quand il a tourné le film. Je suis allé à son école, une école très pauvre pour les garçons. C'est la seule école qui m'avait autorisé à venir et à faire des auditions avec les enfants. J'ai fait une petite liste d'une quinzaine d'entre eux qui auraient pu avoir le rôle. Je leur ai demandé de regarder Fish Tank et This is England avant de revenir. Je voulais qu'ils aient ces films en tête pour la 2ème audition plutôt que d'autres films plus stéréotypés sur ce genre de sujets, pour qu'ils s'inspirent vraiment du type de jeu de ces deux films. A la troisième audition j'ai vraiment compris que c'était le seul qui était vraiment prêt pour le rôle. Il avait réussi à comprendre ce qu'il y avait dans ces films et à incarner ce personnage complètement.

Comment le film a-t-il été accueilli en Angleterre ?

J'ai eu un problème de marketing avec le film, par rapport à l'affiche. J'ai appris qu'ici le film serait interdit seulement aux moins de 12 ans. L'équivalent en Angleterre c'est 15 ans, mais en fait le film a été interdit aux moins de 18 ans. J'ai trouvé que ce n'était pas une bonne idée de faire la pub du film de cette façon, comme un film de gangster. Il y avait plein d'enfants de 15 ans qui voulaient voir ce film, mais ils ne pouvaient pas parce que c'était interdit aux moins de 18 ans. En termes de box office ça n'a pas très bien marché par contre ça a eu beaucoup de succès en DVD et grâce au bouche à oreille, notamment parce que les gens de la rue se sont reconnus dans ce film. Ils l'ont vraiment apprécié et se le sont accaparé par la suite. J'essaye de changer la mauvaise image qu'a ce film et qui est comparable à celle qu'a le hip-hop en Angleterre. Il y a plein de films qui ont été nominés pour des prix prestigieux et qui, à mon avis, ne sont pas aussi vrais et authentiques que celui-là qui a été méprisé de la même manière que mon hip-hop.

Quelle approche avez-vous eu pour votre première en tant que réalisateur ?

J'ai fini ce film il y a à peu près un an. Maintenant que j'ai du recul, je peux le voir presque comme un spectateur. J'ai mes propres critiques à faire sur ce film, en tant qu'œuvre d'art. Mais je sais que le processus a été compliqué parce que je n'avais aucune expérience, je n'avais jamais réalisé de long-métrage auparavant, j'avais un petit budget... J'ai été jugé par gens avec qui je travaillais, des techniciens et beaucoup d'entre eux n'essayaient même pas de se cacher. Vu les circonstances, j'ai fait ce film les mains liées derrière le dos, en quelque sorte. Mais ça m'a rendu confiant. Je me suis dit : « si j'arrive à faire ça les mains liées, imaginez ce que je vais pouvoir faire quand avec les mains libres ! » J'ai fait The Sweeney juste après ce film, et Harry Brown avec Michael Caine juste avant. Les deux étaient très bien produits avec un gros budget. Sweeney a été fait dans une grande discipline, un budget et un emploi du temps respectés du début à la fin. Par comparaison, Ill Manors a été réalisé dans le chaos le plus total. C'était très intéressant de voir la différence entre la fabrication de ces films. Pour la suite, j'aimerais faire un film qui soit dans le même esprit que celui-là: avec la même liberté de ton, le même type de langage qu'utilisent les acteurs, mais en respectant l'emploi du temps. Ça me permettrait d'éviter de devenir dingue en le faisant ! En termes de style, en tant que réalisateur j'ai encore beaucoup de choses à apprendre. Mais je suis fier de ce travail, j'estime qu'il y a une sorte d'énergie naïve qui en ressort, des éclairs de brillance ici et là. J'espère en arriver à de plus en plus de brillance et de moins en moins de défauts.


Pourquoi Ill Manors a mis tant de temps à sortir en France ?

Pour ce qui est de l'industrie du cinéma, comme c'est la première fois que je fais un film, je ne sais pas vraiment comment ça fonctionne. Mais d'après ce que j'ai compris en discutant à mon arrivée ici, c'est selon la façon dont les cinémas classent les films qu'ils décident de ce qui va sortir ou non. Ce qui se passe, c'est que les gens qui ont le pouvoir décident de quels films sortent, quels types de certificat ou d'interdiction ils vont avoir, mais ils sont un peu dépassés par le cinéma d'aujourd'hui. Je suis un grand fan d'Intouchables mais il n'est toujours pas sorti en Angleterre. Je cherche toujours une version avec les sous-titres en anglais, je l'ai vu dans l'avion. Pour moi c'est un film brillant et je ne comprends pas pourquoi c'est si difficile d'avoir ça. Peut-être que c'est en train de se faire... C'est peut-être tout simplement lié à la façon dont les films sont distribués. C'est similaire à la façon dont la musique est distribuée : il y a des pays dans lesquels c'est dur de percer. Mon album Strickland Banks a eu du succès en Angleterre, en France et en Allemagne, mais pas aux Etats-Unis. Je ne veux pas trop critiquer parce que je ne comprends pas tout le système, mais je suis surpris qu'en 2013 grande une œuvre d'art ne soit pas disponible, alors que presque tout est disponible d'un clic !

Avez-vous eu l'idée de ce montage original avant ou après avoir tourné le film ?

C'était vraiment dur pour le montage à cause des improvisations. Plus tôt j'ai parlé de style. Je ne sais pas trop lequel est le mien parce que je préfère faire parler les performances que j'ai vues. C'est vrai que le montage a donné du sens et du style au film. Pour moi le plus important c'est vraiment la performance des acteurs et je suis fier d'avoir un montage un peu hasardeux, du moment que la performance des acteurs brille et se ressent vraiment. Dans le futur j'aimerais avoir plus de temps pour travailler sur le montage et la photo et les perfectionner. Mais avec le temps et les moyens que j'avais, c'est déjà pas mal que j'aie réussi à le faire comme ça.

Aviez-vous écrit les chansons qui racontent la vie des personnages avant de tourner le film, ou après le montage ?

J'avais décidé de tourner le film d'abord et d'écrire les chansons ensuite parce que je savais que la musique serait ma dernière carte, celle qui pouvait réussir à rassembler les choses et donner quelque chose en plus au film. J'ai écrit le scénario en partie avec des dialogues et en partie avec des traitements. Les scènes traitées, je les imaginais avec de la musique donc à ce moment là je ne me suis pas embêté à écrire des dialogues. Quand on a tourné j'ai laissé les gars improviser autour de ce traitement. J'ai eu un problème en tant que réalisateur quand on tournait parce que je préférais les moments improvisés aux dialogues vraiment écrits. Ça a vraiment bouleversé la structure du film et la façon dont il était écrit au départ. J'avais tellement apprécié ces moments là que ça aurait été un crime de les enlever du film. J'ai regardé le montage et j'ai choisi les moments où les performances étaient les plus fortes, et les moments les moins forts je les ai déguisés en les remplaçant avec des narrations pour que ce soit plus fort. Donc en fait j'ai écrit la musique après et elle m'a servie à camoufler les moments les moins forts et où le jeu des acteurs était moins intense. Il y a quand même des moments qui étaient prévus avec de la musique, comme l'histoire de Jake.

Dans un chaos total, vous apportez une note d'humanité. Est-ce une note que vous apportez ou est-ce qu'elle existait à l'intérieur de ces histoires ?

Je suis content que ça se remarque ! En tant qu'êtres humains, quelle que soit la difficulté de nos vies on a toujours la possibilité de rire. La plupart des personnages dans ce film sont désensibilisés à la violence. Ça arrive dans un tel environnement. Mais ça ne veut pas dire qu'on ne connaît pas la différence entre le bien et le mal. Ça veut juste dire qu'on tolère beaucoup plus que la normale. Quand on n'a pas grandi dans ce genre d'environnement on ne peut pas comprendre cette mentalité et alors tout ce qu'on voit c'est des gens cruels, sans cœur, terrifiants, sans règles. On les voit comme des bandits dans la presse donc c'était important de montrer une petite respiration au milieu du langage ordurier et de la violence, des pauses qui font comprendre qu'après tout ce sont des êtres humains avec des sentiments.

Pour quand est prévu votre prochain film ?

Je vais faire une pause. Depuis que j'ai fait ce film je n'ai pas ressenti le besoin d'en faire un autre tout de suite. Ça m'a pris beaucoup d'énergie, encore maintenant je suis épuisé. Quoi que je fasse ce sera lié à l'expérience que j'ai eue en faisant ce film parce que ça a été mon école de cinéma. Je n'avais fait aucune école de cinéma avant de réaliserIll Manors. Quoi qu'il arrive ce que je vais faire après devra changer le monde du cinéma, même de façon infime. Certains peuvent penser que ma voix est excitante, mais la prochaine fois il ne faudra pas que ce soit seulement ça, il faudra que ça ait une importance plus grande. Je devrai prendre le temps d'écrire extrêmement bien pour le prochain film.


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