Interview de Louis SCHWEITZER, Président de la HALDE

(HALDE : Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour L'Egalité

Publié le 17 novembre 2006

Capcampus

Après vingt années passées chez Renault, dont 13 à sa tête, pourquoi avoir décidé de présider la Halde ?

Louis SCHWEITZER

Cela représente pour moi un nouveau défi qui correspond à des convictions profondes.

Capcampus

La lutte contre la discrimination a-t-elle toujours été une de vos priorités ?

Louis SCHWEITZER

Oui, je ne me suis jamais résigné à l'injustice et la discrimination est une injustice insupportable.

Nous assistons à une prise de conscience grandissante des conséquences liées aux discriminations.

Je suis déterminé à favoriser la mise en œuvre de mesures concrètes pour prévenir les pratiques discriminatoires dans tous les domaines.

Capcampus

Vos nombreuses implications sur la scène économique française, entre autres en tant qu'administrateur de grandes entreprises (AB Volvo, BNP Paribas, EDF, L'Oréal, Veolia Environnement), vous permettent elles de défendre les valeurs que vous prônez au travers de la HALDE ?

Louis SCHWEITZER

Je suis aujourd’hui président de la HALDE et j'y consacre l’essentiel de mon temps.

Les fonctions que je peux occuper dans des conseils d'administration n'interfèrent en rien sur mon engagement contre les discriminations. Si la HALDE est amenée à se prononcer sur un dossier d’une des sociétés pour laquelle je suis administrateur, je ne prends pas part à la délibération. C’est déjà arrivé et cela est valable pour tous les membres du collège.

Ma connaissance des entreprises m’aide par ailleurs à agir plus efficacement.

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Quelles sont vos missions précises en tant que président de la Halde ?

Louis SCHWEITZER

La HALDE créée par la loi du 30 décembre 2004 est composée d'un collège de 11 membres, dont je suis le Président. À ce titre, je préside les réunions du collège et je pilote l’action des services de la HALDE forte de ses 66 collaborateurs.

La HALDE est chargée de lutter contre les discriminations, et de promouvoir l'égalité. La lutte contre les discriminations s'organise à partir des saisines que nous recevons des réclamants. Les personnes qui s'estiment victimes d'une discrimination écrivent à la HALDE, 11, rue Saint-Georges Paris 75009.Elles peuvent également téléphoner au 08 1000 5000. Le rôle de la HALDE est d'identifier la discrimination, de construire le dossier des réclamants, dans un domaine où chacun sait que le plus difficile est de réunir les preuves.

Lorsqu'une personne, une institution, ou une entreprise sont mises en cause par un réclamant, la HALDE peut demander la transmission de tous les documents, toutes les informations nécessaires.

La HALDE peut organiser une conciliation ou une médiation. Depuis la loi sur l'égalité des chances, elle peut proposer une transaction avec différentes possibilités : une amende transactionnelle, des mesures de publicité, une indemnisation de la victime. En cas de refus de la transaction, la HALDE a le pouvoir de citation directe, c'est-à-dire que les mis en cause qui refusent la transaction ont la certitude d'un procès.

Si la personne discriminée choisit la voie judiciaire, la HALDE peut présenter ses observations devant le juge. Enfin, lorsque les faits sont constitutifs d'un délit, la HALDE en informe le procureur de la République.

Il est indispensable que les victimes sachent que la HALDE est un recours pour elle ; il est tout aussi essentiel que ceux qui discriminent sachent que la loi sera appliquée à leur encontre.

Nous allons d’ailleurs développer des tests de discrimination pour débusquer les pratiques discriminatoires dans tous les secteurs.

L'autre volet de l'action de la HALDE, est la promotion de l'égalité. Les saisines que nous avons reçues concernent, pour près de la moitié d'entre elles, les discriminations dans l'emploi. C'est donc sur ce point que nous avons entamé notre première action de promotion de l'égalité. J'ai adressé un questionnaire aux 150 plus grandes entreprises françaises, afin de connaître leurs pratiques et de repérer les mesures mises en œuvre par certaines d’entre elles. Ces bonnes pratiques sont en ligne sur le site de la HALDE (www.HALDE.fr).

Ce sont des actions pour prévenir l'apparition des discriminations.

Dans le domaine du logement, nous avons signé une convention avec la FNAIM, qui vise à prévenir les discriminations par la formation et la formation des agents immobiliers et de leur personnel.

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Que pensez vous de la France en matière de discrimination par rapport à sa position au sein de l'Europe ? Sommes nous en retard, ou au contraire pensez vous que la France prend des mesures concrètes ?

Louis SCHWEITZER

Je ne crois pas du tout que la France soit en retard. D'autres pays européens ont appuyé la lutte contre les discriminations sur la reconnaissance des communautés. En France, nous sommes attachés au modèle républicain. L'intégration fonctionne mieux quand ça va bien. Quand la société est en crise, les difficultés sont exacerbées.

Mais la conviction que je retire de mes contacts avec nos homologues Britanniques et Belges notamment, c’est qu’il n’y a pas de pays modèle absolu.

Nous devons nous enrichir mutuellement de nos succès et évaluer nos insuffisances. Notre arsenal législatif et réglementaire est très complet. Il faut faire respecter la loi et offrir un recours à chacun.

La HALDE a enregistré depuis sa création près de 4000 réclamations. Cela montre l'utilité de cette institution, compétente pour toutes les discriminations. La Grande-Bretagne qui avait créé des institutions comparables à la fin des années 70, va maintenant regrouper les 3 institutions existantes en une entité unique. Enfin, avec les nouveaux pouvoirs qui nous ont été reconnus par la loi sur l'égalité des chances, je crois que la HALDE est parmi les institutions les mieux armées en Europe pour lutter contre les discriminations.

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A quel type d’injustice ou de discrimination avez-vous le plus souvent à faire face ?

Louis SCHWEITZER

Près de la moitié des réclamations que nous avons reçu concerne le domaine de l'emploi, vient ensuite l'accès aux biens et aux services publics et privés, et notamment au logement qui occupe une place importante. Le principal critère est celui de l'origine, avec environ 40 % des réclamations que nous avons reçues. La santé et le handicap sont ensuite les critères les plus souvent cités.

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D’après vous pourquoi existe-t-il encore à l’heure actuelle de telles discriminations ?

Louis SCHWEITZER

Il y a les préjugés, la reproduction de comportements étriqués accompagnée d’une sorte de paresse intellectuelle, de peur de l’inconnu ou de la différence.

C'est vrai pour le recrutement et pour l'accès au logement.

Par crainte de changer les habitudes, on choisit la solution de la facilité, on fait ce qu'on a toujours fait. Il y a une autre forme de discrimination, qui est une forme de discrimination par procuration. Tel restaurateur n'embauchera pas un serveur noir, parce qu'il pense que ses clients ne veulent pas d'un serveur noir. Il faut que chacun d'entre nous par son comportement montre clairement que nous ne souhaitons pas de ce type de comportement discriminatoire. Enfin, il y a la bêtise....

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Concrètement, si une personne est victime d’une injustice, quelle démarche doit-elle faire ?

Louis SCHWEITZER

Il y a d'abord un numéro Azur pour se renseigner, le 08 1000 5000. Pour saisir la HALDE, il suffit d'envoyer un courrier à la HALDE, 11 rue Saint-Georges, Paris 75009.On peut aussi saisir la HALDE au travers d'une association ou d'un parlementaire.

Enfin, et pour les internautes c'est important, on peut saisir la HALDE par courriel, via le site www.halde.fr

Capcampus

Avez-vous beaucoup de demandes ?

Louis SCHWEITZER

Nous recevons 400 demandes par mois en ce moment, et ce chiffre continue à progresser. C'est un résultat encourageant pour une institution récente. Pour ce qui touche à la prévention de la discrimination, nous avons aussi des demandes pour adopter de meilleures pratiques. La diffusion des comportements non discriminatoires est importante pour faire changer les mentalités.

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Parvenez-vous à répondre à toutes ?

Louis SCHWEITZER

Toute personne qui écrit à la HALDE reçoit un accusé de réception. Ensuite, la HALDE retient les dossiers pour lesquels elle est compétente. Un certain nombre de réclamations porte par exemple sur des actes ou des injures racistes ; ces comportements sont révoltants, mais la HALDE n'a pas compétence pour traiter ces affaires. Dans ce cas, elle réoriente les victimes vers l’autorité compétente, ou saisit le procureur de la République pour les injures racistes.

Capcampus

Comment jugez-vous qu’une personne est victime de discrimination ou pas ?

Louis SCHWEITZER

Il faut établir qu'il y a eu une différence de traitement entre deux personnes placées dans la même situation, et que cette différence de traitement est liée à un critère prohibé par la loi, comme l'origine, le sexe, le handicap. Il y a 17 critères de discrimination dont la liste complète figure, bien sûr, sur le site de la HALDE.

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Quelles lois existent aujourd’hui pour les personnes victimes de tels préjudices ?

Louis SCHWEITZER

L'article 225-1 du code pénal précise ce qu'est une discrimination :

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée .

Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales. »

Les articles 225-2 et 432-7 définissent les peines.

L'article L122-45 du code du travail reprend les définitions à peu près dans les mêmes termes que dans le code pénal.

Il y a par ailleurs un certain nombre de lois, la loi Le Pors, pour le secteur public, la loi Mermaz pour le logement, le code de l'éducation, qui traitent des discriminations dans des domaines plus particuliers.

Il y a bien sûr la loi du 30 décembre 2004 qui crée la HALDE, avec les décrets d'application et la récente loi sur l'égalité des chances. Par ailleurs, le travail législatif se poursuit la loi du 11 février 2005 pour la dignité des personnes handicapées, la loi sur l'égalité hommes femmes, complètent le dispositif.

Capcampus

Depuis votre prise de fonction, quelle a été l’injustice qui vous a le plus marqué ?

Louis SCHWEITZER

Il est difficile d'établir une hiérarchie. Les discriminations sont toujours insupportables. Elles blessent les personnes qui les subissent, entraînent du désespoir ou de la colère.

Toutes les discriminations doivent être combattues.

Capcampus

Envisagez-vous une campagne de communication pour l'égalité des chances dans le monde professionnel?

Louis SCHWEITZER

Une campagne de communication bien sûr, une campagne d'actions aussi. Je vous ai parlé de l'échange d'informations que la HALDE poursuit avec les grandes entreprises, cette année nous allons interroger 100 entreprises de plus. Il faut que la HALDE parvienne aussi à sensibiliser les PME qui sont les principales créatrices d'emplois.

La HALDE va mener des campagnes de tests de discrimination dans le but de débusquer les discriminations. C’est un moyen qui peut être utilisé également par les entreprises elles mêmes pour vérifier leurs pratiques effectives au-delà des engagements pris.

Capcampus

La discrimination à l’embauche, est ce que les jeunes n’en sont pas les principales victimes ?

Louis SCHWEITZER

Il y a des jeunes qui en souffrent plus que d’autres. Je pense à ceux qui recherchent un stage professionnel ou un premier emploi et qui n’ont pas toujours la chance de bénéficier dans leur entourage d’un accompagnement.

La HALDE a recommandé que des dispositions précises garantissent l'égalité d'accès aux stages et emplois saisonniers. Il ne s'agit plus d'un avantage accessoire, mais d'un élément significatif pour accéder ensuite à un premier emploi. Ces recommandations sont d’ordre général et valent pour toutes les entreprises.

Les annonces de recrutement pour les stagiaires et auxiliaires de vacances doivent être diffusées plus largement par des annonces de presse, des annonces internet afin d’élargir les publics touchés. Si les offres de stages ne sont diffusées que dans les documents internes, seuls les membres du personnel pourront en informer leurs enfants.

Nous demandons aussi qu'il y ait une véritable procédure de recrutement pour les stages, afin de préciser les missions et les compétences requises et que le recrutement se fasse en fonction de ces informations objectives.

Il faut que la procédure soit la même pour tous les recrutements, pour garantir l'égalité de traitement de toutes les candidatures.

Capcampus

Quel est votre meilleur souvenir en tant que président de la Halde ?

Louis SCHWEITZER

La première médiation réussie qui a permis rapidement aux personnes de recouvrer leurs droits.

Capcampus

Et le pire…

Louis SCHWEITZER

A la suite d’un cancer, une jeune femme s'est retrouvée petit à petit isolée puis "placardisée". Elle a saisi la HALDE, elle était très clairement victime de harcèlement discriminatoire en raison de son état de santé. Mais elle avait peur des conséquences, de payer cher le seul fait d'avoir saisi la HALDE....

Capcampus

Un dernier mot à nos lecteurs ?

Louis SCHWEITZER

La lutte contre la discrimination repose aussi sur la détermination de chacun. Il faut absolument que les victimes ne se résignent pas, qu'elles saisissent la HALDE pour faire reconnaître l'injustice dont elles sont victimes. Il faut que les témoins de discrimination acceptent de rompre le silence. C'est comme cela que nous ferons reculer la discrimination, par un changement de comportement de tous.