Interview de Marc Peyrade, directeur de Télécom Paris

Découvrez cette grande école grâce à l'interview de son directeur...

Publié le 06 avril 2009

Le 17 Novembre 2006



  • Vous

Capcampus :

Pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel ?

Marc Peyrade

J'ai débuté ma carrière en 1973 comme chercheur au Centre National d'Etudes des Télécommunications (CNET), dans le domaine de la modélisation des réseaux, où j'ai pris progressivement des responsabilités de direction de recherches. En 1989, j'ai pris la direction des services de communication d'entreprise dans une filiale de France Télécom, FCR.

En 1992, j'ai coordonné le regroupement des activités du groupe France Télécom en matière de conseil et de services en télécom d'entreprise. Ce travail a débouché sur la création d'une nouvelle filiale, Expertel, dont j'ai été le premier directeur général. Cela a été une aventure exceptionnelle, tant sur le plan humain qu'en raison de la réussite de l'opération.

En 1998, j'ai changé d'orientation et pris la direction de Télécom Paris. J'y avais été élève, puis enseignant pendant mes années au CNET, et j'ai retrouvé cette belle école avec un vif plaisir. J'ai d'ailleurs pu constater à quel point elle avait changé en 10 ans.

Capcampus :

Quel est le profil nécessaire pour être un bon Directeur ?

Marc Peyrade

Je pense qu'un directeur d'école d'ingénieur est avant tout un manager, dont il doit avoir les qualités de base : sens de la stratégie, sens du "client", capacité à décider et à mobiliser ses collaborateurs, rigueur dans la gestion (cette liste me rappelle le chemin qui me reste à parcourir pour devenir un "bon directeur"). Par ailleurs, il est extrêmement souhaitable qu'il connaisse bien le coeur de métier de son établissement : l'enseignement et la recherche. Ténacité et patience lui seront enfin indispensables.

Capcampus :

Quelle a été la décision la plus difficile que vous ayez prise en tant que directeur ?

Marc Peyrade

Les décisions qui m'ont conduit à me séparer de collaborateurs ont toutes été très difficiles à prendre. Heureusement, elles ont été rares.

  • L'Ecole

Capcampus :

Pouvez-vous nous présenter votre Ecole et ses spécificités ?

Marc Peyrade

Télécom Paris est une école d'ingénieur spécialisée dans les sciences et les technologies de l'information. C'est cependant une école généraliste, et pas seulement parce que nos élèves reçoivent une solide formation linguistique, managériale et humaine. En effet, les technologies de l'information sont aujourd'hui au coeur du développement et de la performance économique des entreprises et des administrations : tous les secteurs économiques, publics et privés, sont donc largement ouverts à nos diplômés, ce que confirme chaque année notre enquête "premier emploi". Les spécificités de Télécom Paris ne se limitent pas au plan technologique : nous avons mis en place en 2001 une pédagogie qui permet d'adapter la formation au projet professionnel de chaque élève. Le moteur de cette pédagogie est une graduate school où sont enseignés 85 modules qui permettent une combinatoire extrêmement variée et qui accueille sur les mêmes bancs 600 élèves ingénieurs majoritairement français et 110 étudiants en master of science , tous étrangers. Par ailleurs, Télécom Paris dispose d'une offre post-diplôme (12 mastères spécialisés) qui s'adresse a de jeunes diplômés (ingénieurs, diplômes universitaires de niveau bac + 5). Ces formations accueillent environ 200 étudiants ou professionnels en activité qui souhaitent   compléter leur formation initiale dans le but d'accélérer leur évolution professionnelle. L'école reçoit également chaque année 2000 clients "professionnels" qui viennent mettre à jour leurs connaissances dans des sessions de formation continue. L'école est implantée sur 3 sites : la Butte-aux-Cailles à Paris, la technopole aérospatiale de Toulouse et Télécom Valley à Sophia-Antipolis. Ce dernier site héberge Eurecom, institut copiloté par Télécom Paris, 3 grandes universités européennes et 9 entreprises multinationales : les étudiants et les enseignants-chercheurs y sont essentiellement étrangers et les cours y sont tous donnés en anglais. C'est notre cursus "immersion internationale totale", dont les étudiants sortent enchantés, et particulièrement armés pour un début de carrière à l'étranger. L'incubateur de Télécom Paris est aujourd'hui un des tout premiers de France, avec 90 entreprises et 870 emplois directs créés en 6 ans, sans aucun dépôt de bilan ni licenciement à ce jour. Télécom Paris est également un des moteurs de la construction de ParisTech, association regroupant 11 des plus importantes écoles d'ingénieurs françaises (l'X, les Mines, les Ponts, Agro, etc). Last but not least , Télécom Paris forme, avec ses soeurs l'ENST-Bretagne et l'INT, le Groupe des Ecoles des Télécommunications (GET). Cette union a permis de constituer un organisme de recherche de tout premier plan dans le domaine des technologies de l'information.

Capcampus :

A partir de quelle(s) procédure(s) recrutez-vous vos élèves ?

Marc Peyrade

Nos élèves ingénieurs sont recrutés de plusieurs façons : - en 1ère année ( undergraduate ), 106 élèves entrent par le concours commun Mines-Ponts et 9 sur dossier et entretien avec une licence scientifique (chiffres de la dernière rentrée) ; - en graduate school , nous recrutons sur dossier et entretien (chiffres 2005) 39 polytechniciens, 40 étudiants en fin de 1ère année de master universitaire français, 40 étudiants étrangers, 23 ingénieurs du corps des télécom et 68 étudiants en master of science  ; Une partie des étudiants étrangers, notamment chinois, sont recrutés par un jury commun ParisTech. Nous recrutons également sur dossier et entretien nos 210 étudiants en mastères spécialisés et nos 260 doctorants.

Capcampus :

Avez-vous des projets à réaliser à court terme (fonctionnement de l'école, ouverture à l'international...)?

Marc Peyrade

Télécom Paris fourmille en permanence de projets innovants. Aujourd'hui, je citerai pêle-mêle la création de cursus "double compétence" entre écoles de ParisTech, la semestrialisation du calendrier scolaire, en coordination entre écoles de ParisTech, la mise en place d'une politique d'assurance qualité, en nous appuyant sur l'adhésion récente de ParisTech à IDEA League (universités de Delft, Zürich, Aix-la-Chapelle et Imperial College), la mise en place d'un programme d'échanges avec les plus grandes universités australiennes et néo-zélandaises, la réforme de la formation doctorale. Je pourrais aussi citer, en recherche, la participation à 3 pôles de compétitivité mondiaux ou à vocation mondiale ...

Capcampus :

Quel est le positionnement international de votre Ecole ?

Marc Peyrade

Avec 33% d'étudiants étrangers, 7 master of science , des partenariats avec 50 universités étrangères sur les 5 continents et une filiale, Eurecom, qui est en quelque sorte "spécialisée" sur la formation internationale, Télécom Paris est résolument ouverte sur l'étranger. Notre objectif est double : d'une part donner aux étudiants français la possibilité de se "frotter" avec des cultures différentes, d'autre part permettre aux entreprises françaises de recruter de tels étudiants français, ainsi que des étudiants étrangers familiarisés avec la culture et les méthodes de travail françaises.

Cela dit, avec 1200 étudiants, Télécom Paris est un nain à l'échelle internationale. C'est pourquoi il me semble indispensable de construire des ensembles plus forts et plus visibles. Le premier d'entre eux, le GET, existe depuis 9 ans et constitue aujourd'hui la "carte de visite" de Télécom Paris sur le plan de la recherche en sciences et technologies de l'information (STIC). Le second, ParisTech, est en construction. En son sein, Télécom Paris constitue d'ores et déjà une graduate school de 1100 étudiants spécialisée dans les STIC, ce qui est respectable sur l'échiquier mondial.

Capcampus :

Selon vous, comment faire face à la compétition américaine qui place toujours ses écoles parmi les meilleures ?

Marc Peyrade

Force est de constater que l'écart qui nous sépare des USA réside d'abord dans les moyens financiers et que les Etats européens ne sont pas prêts, aujourd'hui, à engager massivement des ressources dans l'enseignement supérieur. Il faut donc peut-être que l'Etat crée des conditions favorables à cet investissement et que les entreprises et les particuliers le réalisent.

Il faut également, au plan national, voire européen, adopter une stratégie ambitieuse, en s'appuyant sur nos forces. A ce titre, ParisTech constitue un chantier extrêmement prometteur, à condition que nous nous sachions aller au bout de cette logique : le rapprochement de ces grandes écoles n'atteindra son objectif que si ces dernières constituent un ensemble d'une cohérence et d'une cohésion suffisantes.

Capcampus :

Pouvez-vous nous citer trois arguments qui inciteraient les étudiants à venir étudier dans votre Ecole ?

Marc Peyrade

1) Télécom Paris offre la meilleure formation aux technologies de l'information qu'on peut trouver aujourd'hui en France. Ces technologies s'appliquent aujourd'hui à tous les secteurs économiques : Télécom Paris est en ce sens une école véritablement généraliste .

2)  L'enseignement est "à la carte"  : après un an de "tronc commun", il est possible de suivre un cursus totalement adapté à son projet professionnel et, pour les plus "accro" à l'international de passer un ou deux ans à Eurecom, une institution unique en Europe.

3)  L'école est formidablement vivante  : les associations étudiantes y pullulent, on y côtoie des dizaines de nationalités, on peut y jouer une comédie musicale "comme à Broadway", les professeurs sont disponibles sur place et le quartier de la Butte-aux-Cailles est super sympa.

 

  • L'enseignement supérieur dans l'actualité

 

Capcampus :

On oppose souvent les formations universitaires aux Grandes Ecoles, pensez-vous que seule la sélection fasse la différence ?

Marc Peyrade

Il ne faut pas, je pense, surestimer l'effet "sélection". L'université ne sélectionne pas les bacheliers, mais le fait ensuite chaque année : un étudiant qui commence une licence n'est pas certain de l'achever et encore moins d'accéder au master. Les grandes écoles sélectionnent à l'entrée, c'est à dire à bac + 2 ou à bac + 3 ... comme les universités.

Par contre, les grandes écoles ont depuis longtemps une conception de la formation orientée vers l'apprentissage d'un métier et l'acquisition de compétences, alors que l'université dispense encore souvent une formation relativement théorique. Les grandes écoles sont, pour cette raison, plus proches des entreprises à tous points de vue. C'est, je pense, la raison principale de leur attractivité auprès des jeunes.

Mais les universités ont compris cela et évoluent rapidement : elles se rapprochent peu à peu du modèle des grandes écoles. La mise en place du système LMD constitue à cet égard un facteur d'accélération.

Capcampus :

Pensez-vous que l'excellence française appartienne au passé ?

Marc Peyrade

Certainement pas. La recherche française est extrêmement dynamique, mais elle manque de moyens dans un certain nombre de secteurs fondamentaux pour l'avenir. Là encore, la communauté nationale doit savoir investir, mais sans saupoudrer : il faut des orientations stratégiques, des priorités, des choix et, pour les mettre en oeuvre, un véritable management de la recherche.

En matière d'enseignement, les ingénieurs formés selon le modèle français, avec de solides bases scientifiques, notamment mathématiques, une grande puissance de travail et une capacité d'analyse aiguisée, ont de plus en plus de succès dans un monde du travail désormais international. Ce type d'ingénieur correspond à une partie des besoins de l'économie mondiale, mais ne peut les satisfaire tous : les entreprises ont également besoin d'ingénieurs "à l'anglaise", "à l'allemande", etc. Il est donc légitime, au nom d'une certaine bio-diversité, que la France défende bec et ongles ses "French engineers", mais prétendre imposer ce modèle au monde serait à la fois présomptueux et contre-productif.