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Eric Woerth - Conférence sur les valeurs, missions et métiers de la fonction publique

Discours d'Eric Woerth le 1er octobre 2007

Publié le 01 octobre 2007

Mesdames et Messieurs,

Ce grand débat national est une première en France.

En effet, s'est-on jamais posé auparavant, de manière organisée, les questions simples mais décisives que nous ouvrons aujourd'hui : quel est notre modèle de fonction publique ? Quels services publics voulons-nous demain pour notre pays ? Quel sens, quel souffle, quelles valeurs leur redonner ?

Je souhaite que ce soit une première dans l'esprit et dans la démarche.

Cette conférence sur les valeurs du service public, les missions et les métiers de la fonction publique, je souhaite qu'elle soit une conférence de consensus autour de deux piliers du pacte républicain et national : le Service public et la Fonction publique.
Nos services publics, notre fonction publique sont en effet au cœur de l'histoire politique et sociale de notre pays et plus encore de la République.

Bien des valeurs constitutives de notre fonction publique trouvent encore leur fondement dans les articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : je pense par exemple à l'égalité d'accès aux emplois publics ou encore à l'obligation de rendre des comptes.

La Révolution française a consacré l'idée, héritée des Lumières et décisive pour l'émergence de la notion de services publics, que l'Etat qui gouverne n'est pas seulement celui qui décide mais aussi celui qui administre le bien commun.

Les deux siècles qui suivront construiront, peu à peu, malgré les crises, les fondements de l'administration que nous connaissons : l'organisation pyramidale, quasi militaire, qui présidera à l'époque napoléonienne, favorisera l'émergence progressive d'une fonction publique au sein de laquelle la compétence, les capacités et les mérites prévalent sur la naissance, le rang et la servilité à l'égard des pouvoirs.

L'intégrité et la neutralité des fonctionnaires n'excluent pas un engagement et des convictions au service des idées démocratiques. Songeons à ces instituteurs de la fin du 19e siècle qui furent les messagers de la République dans la France rurale.

La Libération et l'instauration de la Ve République feront ensuite des fonctionnaires et des services publics les fers de lance de la reconstruction et de la modernisation de notre pays.

Les historiens me pardonneront évidemment cette évolution tracée à gros traits.

Nous avons aujourd'hui l'ambition de revisiter cet héritage à la lumière du 21e siècle, pour faire du service public, à nouveau, une idée neuve en France.

Il faut refonder les services publics et la fonction publique sur leurs valeurs fondamentales.

Celles que j'évoquais et qui ont traversé l'histoire, telles que l'égalité, l'intégrité, la neutralité, la laïcité.

Mais aussi les valeurs de notre époque, faite d'ouverture, de diversité, de rapidité.

Le fondement de ces valeurs repose sur la confiance que l'on place dans les agents publics pour administrer les biens collectifs.

Le métier des fonctionnaires est en effet exigeant. Il est fondé sur une valeur dont on ne parle pas assez, il s'agit de la confiance.

A qui confie-t-on, si ce n'est aux agents publics : nos enfants pour les instruire, nos personnes et nos biens pour les protéger, notre santé pour la préserver et l'améliorer, nos cadres de vie pour les rendre plus respectueux de l'avenir de nos enfants, nos droits pour les faire respecter, notre pays pour le défendre ?

Cette conférence de cohésion nationale est ainsi une occasion unique de replacer la confiance au cœur du service public. Confiance de l'usager vis-à-vis du service qu'on lui apporte, confiance des employeurs vis-à-vis de leurs agents, confiance des agents vis-à-vis de leurs employeurs.

Notre débat permettra également de mettre en lumière la richesse des métiers de la fonction publique d'aujourd'hui.

Le répertoire interministériel des métiers de l'Etat (RIME) en a répertorié plus de 200 dans la seule fonction publique de l'Etat, classés dans une vingtaine de filières professionnelles mais aujourd'hui encore dispersés dans l'amoncellement de 500 corps environ.

Ce sont des métiers aussi divers que ceux d'un ambassadeur, d'un infirmier, d'un prévisionniste météo, d'un technicien de laboratoire, d'un surveillant pénitentiaire.

Nos conférences permettront également de revisiter la richesse des formes institutionnelles, juridiques et économiques que prend le Service public.

Notre secteur public fonctionne bien souvent en se fondant sur des règles implicites, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes dans un pays où la règle édictée par le droit a tant d'importance dans la plupart des domaines.
Or, parler d'égalité, de neutralité, de laïcité, d'adaptabilité du service public, n'est-ce pas parler de valeurs qui sont au cœur de notre pacte républicain ?



Je suis convaincu qu'une réflexion sur les valeurs, les missions et les métiers de notre fonction publique débouche inévitablement sur des questions très concrètes.

Aussi, je livrerai ici quelques pistes de réflexion sur un certain nombre de points qui me paraissent centraux mais évidemment non limitatifs.

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Je prendrai quelques exemples pour lancer le débat.

Le principe d'égalité d'accès aux emplois publics est une valeur de base de notre système. C'est ce principe qui fait du concours la voie d'accès de droit commun dans la fonction publique.
Le concours, c'est notre « CV anonyme » à nous, dans le service public. A travers l'anonymat que l'on impose aux épreuves écrites, on estime que le principe d'égalité des candidats est rigoureusement respecté en matière de recrutement dans la fonction publique.



Les constats sont cependant bien plus nuancés.
Toutes les études sur la diversité dans la fonction publique montrent que le concours peut aussi être un obstacle pour l'égalité des chances et la diversité des effectifs : ceux qui réussissent les concours sont en effet surdiplômés, puisque plus de 50 % des lauréats aux concours externes de la fonction publique sont recrutés avec un diplôme supérieur à celui théoriquement exigé. C'est là une barrière importante pour ceux qui n'ont pas facilement accès à ces diplômes.

Dès lors, les questions surgissent inévitablement : faut-il préserver le système en l'état, en considérant que l'inégalité d'accès aux emplois publics n'est que le produit de l'inégalité d'accès aux diplômes et aux formations de qualité ?

Faut-il, a contrario, accepter la création de voies de recrutement réservées pour que l'égalité des chances soit réelle, en estimant que la valeur « diversité », dans une société moderne, a autant de prix que la valeur « égalité » ?

Il n'existe pas de réponses toutes faites et simples à ces questions.

On peut bien évidemment privilégier des solutions intermédiaires : soutenir la préparation aux concours, développer les voies d'accès sans concours, réviser le contenu des épreuves. Nous nous employons, d'ailleurs, à les mettre en œuvre actuellement avec la mise en place de 1000 allocations pour soutenir la préparation aux concours, le développement des PACTE et la mise en œuvre de la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle.

Mais ce premier exemple montre bien que la réflexion sur la seule valeur « égalité » appelle immanquablement des prises de position très concrètes.

Prenons un deuxième exemple. Le principe d'égalité est également censé présider à la carrière des fonctionnaires. Or, là encore, il faut regarder la réalité des faits.

La segmentation de la fonction publique d'Etat en 500 corps garantit en effet l'égalité statutaire entre des personnes exerçant à l'origine un même métier.
Mais entre les corps de fonctionnaires, qu'en est-il désormais ?


L'organisation des corps peut être, à bien des égards, source d'inégalités car les métiers ont évolué plus rapidement que les statuts : par exemple, avant que l'on ne procède, en 2006, à la fusion des corps concernés, deux attachés d'administration appartenant à des ministères différents ne percevaient pas forcément la même rémunération de base, alors que leur métier était similaire.

Réfléchir au principe d'égalité, c'est aussi, on le voit, réfléchir à la rénovation statutaire de notre fonction publique.

Autres interrogations que peut susciter le principe d'égalité : la rémunération et la promotion à l'ancienneté, qui caractérisent notre système de gestion, permettent-elles de satisfaire au principe d'égalité ? Oui absolument, si les fonctionnaires étaient des abstractions mathématiques. Or, ce sont d'abord des personnes, des hommes et des femmes avec leurs qualités et leurs mérites professionnels propres.

Chacun connaît ici la caricature que l'on prête aux fonctionnaires et que je récuse formellement : « que je travaille plus ou moins, je serai payé pareil ; donc, à quoi bon ? ».
C'est contre ce type de dévoiement du principe d'égalité, décourageant pour les agents, redoutable pour la légitimité de nos administrations, qu'il faut lutter.

Qui peut dire, dans le même ordre d'idée, qu'il n'est pas attaché à l'égalité des usagers devant le service public ? Mais ce principe n'emporte plus les mêmes conséquences que dans la France d'il y a 60 ans. L'urbanisation de notre pays, les nouveaux équilibres entre les territoires obligent l'administration à évoluer.

C'est là que le principe d'égalité rejoint le principe d'adaptabilité du service public. Il signifie que l'administration doit être en mesure d'évoluer constamment, en répondant à des besoins émergents ou en adaptant son implantation territoriale.

Cela signifie très concrètement qu'elle se doit de développer la mobilité des fonctionnaires pour améliorer le service rendu au public.
Cela suppose de développer la capacité d'adaptation des fonctionnaires et des agents à de nouveaux univers professionnels.


D'où l'idée de mesures très concrètes comme celles de créer des primes de mobilité ou d'attractivité, des entretiens de carrière pour aider les agents à se reconvertir ou encore d'optimiser les 4 Mrds € que l'Etat consacre chaque année à la formation de ses agents.

D'où la nécessité surtout de ne pas esquiver des débats aussi essentiels que le périmètre de la fonction publique, son adaptation à l'évolution des besoins ou la place du contrat dans l'administration.

Je souhaite y insister : ce ne sont pas là des questions taboues. Il faut les aborder de manière décontractée et décomplexée. Ce sont des questions que notre débat sur les valeurs doit naturellement ouvrir.

Il doit nous inviter à ne pas conclure systématiquement que « service public » induit nécessairement « fonction publique ».

Historiquement, le service public et la fonction publique ne se sont jamais rigoureusement recouverts : aujourd'hui en France, bien des personnes sont au service du public sans pour autant être fonctionnaires.

Prenez l'exemple des agents des caisses de sécurité sociale qui sont des agents de droit privé d'organismes de droit privé. Qui oserait dire qu'ils n'appartiennent pas au Service public ?

Je souhaiterais donc que la conférence sur les valeurs, missions et métiers de la fonction publique soit l'occasion d'aborder tous ces sujets sans caricature.

Il faut aussi débattre très sérieusement - sans y voir une attaque contre le statut - de la place que le contrat doit avoir dans notre fonction publique. Il y existe d'ailleurs déjà, je le rappelle, puisque les agents non-titulaires représentent 15 % des effectifs de la fonction publique.

Il s'agit de reconnaître aussi que la souplesse n'est pas forcément synonyme de précarité : depuis 2005 par exemple, les agents en CDD depuis au moins six ans sur les mêmes fonctions bénéficient obligatoirement d'un CDI dans la fonction publique.

On évoque aussi comme valeur cardinale du service public le principe de continuité. Ce principe est tourné vers le citoyen : pour lui, le Service public doit être continu.

La sécurité des biens et des personnes ne commence pas à 8 h 00 le matin et ne s'achève pas à 17 h 00. La nuit, les services d'urgences veillent. Peut-on parler de continuité sans évoquer l'organisation de nos administrations, de nos modes de travail, ou encore la nécessité d'une rémunération effective des heures supplémentaires qu'effectuent les fonctionnaires ?
C'est bien au nom du principe de continuité que, comme vous le savez, le Gouvernement a ouvert ces chantiers.

D'autres que nous ont d'ailleurs formalisé, pour leur fonction publique, des valeurs essentielles.

L'Union européenne, dans la Charte des droits fondamentaux, s'est prononcé pour une « administration de qualité » fondée sur la fiabilité, la prévisibilité, la transparence, la nécessité de rendre des comptes, l'efficience et l'efficacité.

Au Royaume-Uni, une commission spécifique a dégagé comme principes de conduite du fonctionnaire : le désintéressement, l'intégrité, l'objectivité, la nécessité de rendre des comptes, la transparence, l'honnêteté, le leadership.

Le Canada, enfin, en 2003, dans un contexte de réforme intense, a élaboré un Code de valeurs et d'éthique de la fonction publique dégageant un ensemble de valeurs démocratiques et professionnelles s'imposant aux fonctionnaires : l'honnêteté, l'impartialité, la neutralité, la compétence, l'excellence, pour n'en citer que quelques-unes.

La France a la chance, je l'ai dit, de s'appuyer sur une fonction publique dont bien des qualités, telles que l'intégrité, la neutralité et l'honnêteté, sont reconnues et ne sont contestées par personne. Nous en sommes fiers. C'est sur ces bases qu'il nous faut construire, c'est sur ces bases que l'on peut se rassembler pour débattre.

Notre discussion sera donc l'occasion d'aborder rapidement des questions très concrètes : comment faire de la performance et de la qualité du service rendu une valeur fondamentale du service public sans rémunérer les agents en fonction de leurs mérites propres ?

Comment parler de responsabilité ou d'obligation de rendre des comptes sans instaurer de véritables évaluations des fonctionnaires ?

Comment souligner l'importance de la transparence dans un système où prévalent des règles souvent compliquées et des instances multiples ?

Voilà la grande ambition de cette conférence de cohésion nationale : réfléchir en profondeur sur les valeurs, missions et métiers de la fonction publique, pour dégager, au terme de 6 mois de débats et de consultation, les atouts et les insuffisances du système actuel ainsi que des propositions concrètes de réforme, qui se déploieront tout au long du quinquennat.

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Pour cela, le débat que nous ouvrons aujourd'hui sera large et pluraliste.

Le débat sur le Service public est en effet l'affaire de tous. Ne serait-ce qu'en raison de la place qu'occupe le service public dans notre pays : la fonction publique emploie 5,2 millions de personnes au 31 décembre 2005, ce qui correspond en France environ à un emploi sur 5. Autant dire que, dans chaque famille ou presque, on trouve un fonctionnaire et que chacun doit se sentir concerné.

La France a une passion pour le débat. Mais ce qui serait nouveau dans notre pays, c'est que le débat produise enfin, sur ce sujet, du consensus, c'est-à-dire l'équilibre des points de vue.

Pour qu'il y ait consensus, il faut qu'il y ait pluralité de convictions et d'opinions, il faut qu'il y ait débat, il faut qu'il y ait un socle commun qui rassemble. J'ai la conviction que les valeurs du Service public peuvent nous rassembler.

Je tiens également à souligner, si besoin était, que le débat n'est pas écrit d'avance, que les solutions et les réponses à apporter aux défis qu'évoquait François Fillon ne sont pas toutes faites.

Il n'est demandé à chaque participant qu'une chose : ne pas apporter au débat que ses craintes, ses préjugés et ses intérêts particuliers mais plutôt ses convictions, sa sensibilité et ses réflexions. Ceci, afin que tous ensemble nous formulions des propositions innovantes.

Pour cela, nous souhaitons évidemment, et j'en terminerai par là, que le débat français s'ouvre aux expériences étrangères. Nous inviterons des représentants de pays étrangers ayant conduit des démarches de modernisation de leur fonction publique à venir témoigner.
Car nous ne sommes pas seuls à être confrontés aux questions qui sont aujourd'hui les nôtres. Je pense au Canada, à la Suède, à l'Italie, au Portugal, parmi d'autres.

L'ouverture aux expériences étrangères permettra d'interroger notre modèle pour en conserver le meilleur et le faire progresser là où cela est nécessaire.

Je remercie vivement les membres permanents de la conférence qui ont accepté ce pari audacieux, en s'engageant dans ce débat national. Tout particulièrement : les huit organisations syndicales représentatives des fonctionnaires, les employeurs de fonctionnaires (l'Assemblée des Départements de France, l'Association des Régions de France, l'Association des Maires de France, la Fédération Hospitalière de France, les présidents des Conseils Supérieurs de la Fonction Publique) ainsi que les grands témoins qui apporteront au débat leur expérience et leur maîtrise des enjeux relatifs au renouveau de notre service public.

Je vous remercie.